Les Héros du peuple sont immortels



Lisbonne, 1990. Did est un Écossais qui tient un magasin de disques. Un client l’apostrophe, croyant reconnaître en lui le chanteur d’un ancien groupe punk français. Did nie. Mais le client a toujours raison… car Did ne s’appelle pas Did et n’est pas écossais. Il s’appelle Gilles et il s’est réinventé après une jeunesse particulièrement mouvementée. Librement adapté de l’autobiographie de Gilles Bertin, Trente ans de cavale, ma vie de punk, ce roman graphique de Stéphane Oiry (Les Passe-Murailles avec Jean-Luc Cornette, Maggy Garrisson avec Lewis Trondheim, Pauline et les loups-garous avec Appollo) revient sur la trajectoire romanesque et tragique d’un homme qui a beaucoup sacrifié à sa liberté.
Chanteur du groupe punk bordelais Camera Silens dans les années 1980, Gilles Bertin commet divers larcins entre deux concerts, notamment pour se payer de l’héroïne. En 1988, un braquage de plus grande envergure – le dépôt toulousain de la Brink’s – le pousse sur les chemins de la cavale et de l’Espagne. Il doit abandonner sa femme et son fils, surveillés par la police. Ses complices se font arrêter les uns après les autres. Avec sa nouvelle compagne espagnole, il repart de zéro au Portugal où il découvre sa séropositivité, puis rentre en Espagne. Lassé de la bourlingue après la naissance de son deuxième enfant, en proie aux remords envers ses anciens amis et sa famille, craignant constamment d’être retrouvé et ne voulant plus mentir, il finit par se rendre, en 2016.
Cette vie cahoteuse, Stéphane Oiry la met en scène avec énergie, se concentrant sur des épisodes particulièrement marquants. Son trait clair – entre les frères Hernandez, Serge Clerc et un Daniel Clowes punk – et son jeu sur les noirs et les couleurs – particulièrement superbe sur les scènes de concert ou de fêtes – servent avec brio son récit limpide. La narration à la deuxième personne rapproche le lecteur de Bertin mais, paradoxalement, installe aussi une distance qui évacue tout pathos. Au-delà d’un regard juste sur un homme que ses choix radicaux ont conduit à une vie de tourments et d’errance, Les Héros du peuple sont immortels est aussi une évocation réussie des marges des années 1980-1990 et un cas d’étude extrême sur la notion de liberté.
Publiez un commentaire